Vulnérabilités & libertés
Édito
Une situation de vulnérabilité doit-elle nécessairement s’accompagner d’une perte de liberté pour l’individu, au motif de sa protection et de la protection du collectif ? Ou comment protéger les libertés des individus, quand ils présentent des fragilités qui pourraient justifier de restreindre leurs libertés dans leur intérêt ou celui du collectif ?
Les individus perdent parfois le terrain de leurs libertés d’agir, de s’exprimer, de circuler, de choisir, de travailler, ou d’élaborer des projets, etc. Ces libertés se voient restreintes de manière passagère ou durable, par une vulnérabilité physique, psychique, sociale, par l’entrée dans un établissement d’accueil ou de vie, par leur minorité ou leur grand âge, en raison de leur origine ou de leur genre. Restreintes parfois au nom des besoins légitimes des professionnel.le.s qui les accompagnent au quotidien, a fortiori quand il.elle.s n’ont pour cela que des moyens limités. Restreintes aussi sous la protection des familles, inquiètes d’un bien-être de leurs proches, et en attente pour eux de sécurité et de prévention des risques. La perte de liberté individuelle est tout simplement parfois nécessaire pour favoriser la vie en collectif, dans l’intérêt du plus grand nombre.
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Mais quand toutes ces nécessités sont posées, plus ou moins pertinentes et légitimes, apparait presque comme un impératif éthique et moral, de porter une ambition ; celle de chercher en quels infimes lieux, de quelles inventives manières, par combien d’incontournables étapes, restituer progressivement du pouvoir d’agir ? Viser « malgré tout » les libertés individuelles…
Vulnérabilités et libertés : deux notions asymétriques ?
Dans une société où la liberté est envisagée comme la condition d’une réussite individuelle, les individus engagent une perpétuelle quête d’une réalisation autonome. À l’inverse, la vulnérabilité est, ipso facto, identifiée comme ce qui limite l’individu à devenir pleinement lui-même – d’autant plus lorsque son « accomplissement » dépend d’un tiers. La vulnérabilité est alors envisagée comme une condition dont il faut se défaire afin de maintenir sa liberté. Comment accueillir alors cette vulnérabilité puisqu’elle semble nous priver de ce que nous avons de plus précieux : notre liberté ?
Mais « vulnérabilité » et « liberté » sont-elles des notions si incompatibles ? Les éthiques du care invitent par exemple à repenser les potentialités et capabilités de chaque individu selon ce que chacun souhaite être et faire[1]. La liberté de l’individu n’est donc plus pensée à partir d’un idéal d’indépendance et d’autonomie mais à partir des possibilités laissées à l’individu de rendre fonctionnelles ses potentialités et capabilités. La liberté ne relève donc plus d’une approche capacitaire. Et les limites engendrées par une situation de vulnérabilité sont à envisager comme un nouveau point de départ.
Nous vous proposons justement de découvrir des projets qui font de la vulnérabilité un phénomène à investir, une histoire qui ne doit pas inéluctablement être abandon du pouvoir d’agir. Pour cela, ils ne réduisent pas la « vulnérabilité » à une notion de fragilité, n’invitent pas seulement à en faire une condition à dépasser, mais nous invitent à la comprendre comme une condition existentielle de l’être humain, tous les êtres humains, à un moment de leur vie, une condition qu’il s’agit donc d’accepter et de traverser collectivement. En soulevant sans les minimiser, les problèmes et opportunités posées par la vulnérabilité, ces projets créent des voies rendant possible et souhaitable le développement de la capacité d’agir des individus.
Focus sur la résilience collective
Les projets à l’honneur dans cette thématique ne permettent pas d’embrasser de manière parfaitement dialectique et exhaustive ce sujet très vaste. Mais déroulant le fil rouge de la Saison #2 – la place des individus dans le collectif – le Campus a pris le parti de s’intéresser davantage à la créativité des collectifs qu’à la résilience individuelle. Il ne sera pas seulement question des leviers psychologiques et des trajectoires d’individus à même de s’émanciper. La question sera surtout posée à nos structures sociales, politiques et culturelles, et à nos représentations collectives quant aux libertés des personnes dites vulnérables. Le micro est donc tendu vers des institutions, des projets, des acteur.rice.s qui travaillent des cadres propices à élargir les marges de manœuvre.
Découvrez pour cette 2ème thématique, diverses situations qui mettent à l’épreuve la liberté des individus : situations d’incarcération (Arbi Madhaj, Maison d’Arrêt de Brest, Champs de Justice), de vieillissement (Old up) ou de risques pour l’enfant et le jeune (Repairs!, Aadjam), situation d’aidance ou de handicap (l’Art s’emporte), ou encore contexte de traite humaine (l’Amicale du Nid). La complexité de ces terrains n’ont pas empêché les acteur.rice.s que nous avons rencontré.e.s, d’explorer la défense des libertés individuelles, par des biais complémentaires et parfois contradictoires, avec les personnes concernées, souvent en encourageant l’affirmation des individus, l’expression de leurs émotions, de leur sensibilité et de leur créativité. Leur défi commun : leur/nous montrer qu’aucune vulnérabilité ne doit entraver la capacité et la volonté de jouer un rôle civique et sociétal.
[1] Martha Nussbaum.
les projets à l’honneur
Derrière chacune de ces structures ou de ces personnes, retrouvez une vidéo, un article, un podcast… N’hésitez pas à cliquer sur les projets pour en savoir plus !
La Doc’
En partenariat avec les Centres de Ressources d’Askoria, nous vous proposons de partir à la découverte de notre Doc’.
Plus qu’une simple revue de presse, nous vous proposons une sélection d’ouvrages, de romans, de textes réglementaires, de podcasts,…
Autant de contenus complémentaires pour continuer à explorer la pistes des vulnérabilités et des libertés.
Toute la Doc’ à découvrir ici :