La division sexuée du travail social
Étude sociologique d’une étudiante en travail social
Faire une pause dans sa formation d’éducatrice spécialisée pour aller mener une étude sur la répartition genrée des travailleur·se·s sociaux·les : telle a été la démarche de Lola Gaches. Pour le Campus des Solidarités, elle revient sur sa période de recherche en sociologie, expose ses constats initiaux et présente ses hypothèses pour comprendre quels sont les facteurs déterminants dans les choix professionnels des individus.
« Lorsque je suis entrée en formation, un premier constat m’a alerté : les femmes sont sur-représentées dans le travail social. Autour de moi, les formations d’assistant·e·s de service social et d’éducateur·rice·s de jeunes enfants étaient très féminisées. Mais lorsque je regardais les formations à l’encadrement (CAFDES, CAFERUIS, DEIS), la représentation femmes-hommes avait tendance à s’égaliser. Et cet équilibre était aussi visible dans la formation des éducateur·rice·s techniques spécialisé·e·s. Je ne m’attendais pas à cette sur-représentation en formation et j’ai souhaité attendre de voir ce qu’il en était sur mes lieux de stage. Au courant de ma deuxième année, je me suis rendu compte que les terrains professionnels n’étaient pas épargnés par cette réflexion sur la répartition des femmes et des hommes.
Face à ces constats, je me suis posée plusieurs questions initiales : pourquoi les femmes auraient-elles plus envie, a priori, de faire du social que les hommes ? Comment expliquer cet attrait du travail social pour les femmes ? Par ailleurs à la formation d’éducateur·rice· technique, est-ce l’aspect technique qui attire plus les hommes ? Ou est-ce l’aspect technique qui attire moins les femmes ? En parallèle, mon intérêt pour les questions féministes s’est développé et j’ai découvert l’éthique du care qui est largement associée aux femmes. J’ai alors décidé de mettre en pause ma formation et de faire une 3ème année de licence de sociologie parce que je ressentais le besoin fort de comprendre l’origine de la féminisation du travail social…
« Dans le travail social domine l’idée que l’action relève d’un savoir-faire social qui peut se résumer à un savoir-être femme, pour ne pas dire un savoir-être mère. »
Marc Bessin, sociologue
Dans les cours suivis en Licence, lorsqu’on évoquait la féminisation du travail social, il m’a été expliqué par des professeur·re·s les liens entre le fait de prendre soin des individus et du monde en général et le fait d’être une femme : ces liens sont construits sociologiquement, ce n’est pas inné. J’ai donc voulu mener un travail sur ce sujet, pour tenter de comprendre s’il existe des influences de genre chez les personnes qui font le travail social ?
Dans ma méthodologie de recherche, j’ai mené des entretiens auprès de travailleur·se·s sociaux·les dans toute la France. J’ai fait une enquête avec des examens phénoménologiques sur une dizaine d’entretiens avec une diversité des professions (chef·fe de service, ME, ASS, etc.), pour voir comment les personnes considèrent leur travail, d’où venait leur envie de faire du travail social et comment iels expliquaient que la majorité de leurs collègues soient des femmes.
« Les femmes, considérées par la société comme dévolues à la sphère privée, se sont largement impliquées dans la place qui leur a été laissée : l’éducation et le soin. Dans ces conditions, comme la philosophie du care le souligne, les professionnel·le·s du travail social furent inévitablement largement des femmes. »
Lola Gaches, étudiante au Département de sociologie, Université Rennes 2
À l’issue de cette étude, plusieurs hypothèses ressortent :
- L’Histoire et l’éducation jouent un rôle fondamental : le travail social peut être lu comme la professionnalisation du travail domestique fait par les femmes pendant des générations. L’éducation des filles basée sur l’empathie et l’écoute assignent directement à des rôles sociaux prédéfinis ;
- La sur-représentation des femmes en formation EJE peut être analysée à la lumière des liens qu’entretient la formation avec la petite enfance et donc avec les rôles historiquement attribués aux femmes ;
- À l’inverse, la représentation importante des hommes dans la formation ETS peut être en lien avec la technicité de cette formation. Est-ce l’héritage d’un domaine de l’industrialisation investi exclusivement par les hommes ?
- Dans les formations de Conseiller·ère·s en Économie Sociale et Familiale ou de Technicien·ne·s de l’Intervention Sociale et Familiale, le côté « famille » est encore très féminisé parce que la charge familiale est historiquement et socialement plus associée aux femmes qu’aux hommes ;
- L’essentialisation des compétences féminines : les femmes seraient naturellement plus douces, plus empathiques et donc plus à même d’accompagner les personnes. Cette essentialisation interroge directement la valorisation et la rémunération des métiers du care : puisque les femmes sont naturellement empathiques et possèdent des compétences naturelles pour l’accompagnement, elles ne produisent pas d’effort pour réaliser leur travail. Cette représentation a des conséquences sur l’image du travail fourni et les salaires qui en découlent. À la différence du BTP où la pénibilité et l’engagement physique des hommes sont reconnus, la charge émotionnelle et la charge mentale subies par les femmes ne sont pas considérées comme de vraies charges, dans le travail social et dans le soin. »
À l’issue de son étude, Lola pose une ultime hypothèse : la répartition genrée dans le travail social ne serait finalement que le reflet d’une société patriarcale et des inégalités femmes-hommes.
Envie d’en savoir plus ? L’étude de Lola Gaches est à découvrir dans son intégralité :